L'interview d'Isild Le Besco pour CineMovies.fr

La comédienne Isild Le Besco est désormais, aussi, une réalistrice. Présente à Angers pour présenter son premier film, en compétiton, elle répond à nos questions...

J´ai l´impression que vous vous êtes vraiment lâchée sur ce premier film, dans vos cadrages, et plus généralement dans la manière de filmer ?

C´est sûr que l´on n´était pas conditionnés par des choses déjà faites, par des écoles, ou des choses comme ça. Ca, c´est évident... Je ne me suis pas dit : « Faire tout et n´importe quoi », mais comme on n´était pas dans ce conditionnement, finalement, ça a donné ce résultat, malgré nous. C´est comme ce que je disais hier. C´est comme ne pas filmer les visages des adultes. Ce n´était pas décidé d´avance, mais c´est quelque chose qui allait de soi, à partir du moment où l´on était avec les enfants, et que c´était le sujet du film... On n´avait aucune raison de s´en échapper. Et pour les plans, c´est exactement la même chose. Si on passait d´un visage à un autre, et que tout à coup la caméra était floue, eh bien, ce n´était pas grave... Comment dire ? Il n´y avait pas de volonté esthétique... Il n´y avait pas de volonté de style, de plans, aucun. Il y a juste les choses prises comme elles sont. C´est tellement l´inverse du classique - c´est-à-dire de quelqu´un qui met sa caméra et qui filme pendant dix minutes, moi je trouve absolument sublime de faire ça, que ça en devient presque... Enfin.... Aller chercher les choses simplement, trouver les choses. C´est ça le truc. C´est vrai que sur un tournage, les metteurs en scène ont souvent... Il y en a qui sortent des écoles, et qui sont donc conditionnés par ce qu´ils veulent, par ce qu´ils ont imaginé. Alors que pour moi, la seule chose qui était importante, c´était de n´être conditionnée par rien, et d´aller chercher ce qu´il se passait... Ce qu´il s´est surtout passé en fait, c´est que je n´ai pas, comme il se fait traditionnellement, fabriqué les choses, mis les choses en scène, pour les instants de la caméra, pour les instants de la pellicule. J´ai fabriqué cette chose dans son existence même, pendant trois jours ...

Le tournage a duré trois jours ?

Non, il y a eu quatre fois trois jours... Alors que dans un film normal, on prépare la scène comme ça pour un certain angle de vue. Et tout autour il y a l´équipe, les gens derrière. Alors si, tout à coup, l´acteur veut faire çi ou ça, il ne peut pas le faire parce qu´on ne peut pas tourner la caméra comme ça. On est obligé de dire « Coupez » et de recommencer... et d´être là. Alors qu´avec mon film, c´était... Le conditionnement que les enfants avaient, c´est d´être justement complètement libres. Sortir constamment d´eux-mêmes, et pas que dans le fait de jouer, mais aussi dans la liberté du corps.

Mais l´apprentissage de la technique permet aussi parfois de pouvoir mieux maîtriser ce que l´on a envie de dire ?

Non, parce que là c´était des caméras DV. Ce sont des caméras que tout le monde peut utiliser. Puis bon, les écoles, ça dure à chaque fois deux ans, trois ans, et... Apprendre à mettre un objectif, charger ou décharger une pellicule, on en a pour deux semaines... Maximum... Moi, ce que je trouve bien dans les écoles, c´est - et ça n´a rien à voir avec le fait d´être cinéaste -, c´est apprendre les films - quelque chose de l´ordre de la culture. C´est de savoir voir les très beaux films. Et surtout avoir éventuellement le matériel pour filmer. Mais je pense aussi que c´est important, pour le metteur en scène, qu´il soit confronté au rien. Il doit savoir faire un film où il se débrouille complètement. Mais il y a aussi des cinéastes qui ont fait des écoles très bonnes, et qui...

Dans le film, on voit beaucoup les enfants nus. Quel symbole avez-vous voulu donner à la nudité ?

Pas souvent, non... Après la projection, quelqu´un m´a aussi demandé pourquoi on les voyait souvent nus. Mais pour moi, ils sont tellement dans cette chose organique et animale que ça aurait été bizarre de ne pas les voir nus. Et d´ailleurs, je ne leur ai pas mis un couteau comme ça, en leur disant « Déshabillez-vous, je vais vous filmer ». C´est venu naturellement, après une scène qu´on a tournée, où, en effet, ils devaient d´ailleurs... La scène où ils sortent la nuit, pour attraper froid ; moi, je leur disais de monter leur T-shirt, et eux, ils se sont mis à se déshabiller naturellement. Et après, quand ils sont rentrés dans l´appartement, ils étaient nus. Ils étaient bien. Ils sont jeunes, donc ce n´était pour pas une partouze de se mettre nu... Donc, ils restaient nus naturellement. Je ne leur ai pas dit « Rhabillez-vous »... C´était absolument naturel pour eux d´être dans cette ville comme ça, animal. C´était naturel parce que c´était aussi mon naturel à moi, et que je projetais ça sur eux.

Vos jeunes acteurs ont quel âge ?

Ils avaient 7, 8 et 9 ans, à ce moment-là. Maintenant, ils sont plus vieux parce que ça fait un moment qu´on l´a... Enfin, on a commencé à tourner il y a trois ans. Et on a fini il y a deux ans. En fait, les quatre fois trois jours étaient répartis dans l´année.

Qu´est-ce qui a été long, alors ?

Je faisais les décors, les costumes, tout... Je pense que c´était important nerveusement qu´il se passe chaque fois du temps pour que les enfants se retrouvent eux-mêmes, qu´ils retrouvent une sorte de sérénité. Parce que ça l´air simple comme ça, mais c´est vachement déstabilisant pour un enfant de sept ans de quitter ses parents, et d´aller vivre chez quelqu´un comme ça, qu´il ne connaît que depuis deux semaines - et qu´il n´a vu que trois fois dans sa vie -, d´aller vivre comme ça non-stop avec deux autres enfants...

Comment avez-vous instauré le climat de confiance nécessaire à leur liberté d´expression ?

Je leur ai dit que je les aimais, que j´avais envie de les filmer. Que c´était important pour moi, que j´allais faire attention à eux, et ça été le cas, d´ailleurs. Je faisais très attention à eux. Ils étaient...

Vous avez passé du temps avec eux, avant ?

Bien sûr... On s´est vu un peu. On a passé une après-midi à voir les costumes, tout ça. Evidemment, les enfants ont toujours envie de jouer dans les films, mais... Ce qu´ils ne s´imaginaient pas, c´est que ça allait être aussi éprouvant, et nerveusement dur. Ils n´imaginaient pas cette force. Moi, j´avais reconnu cette force en eux. Ca n´aurait pas pu être n´importe quel enfant.

Ce sont des enfants que vous connaissiez ? Qui faisaient partie de votre environnement ?

Il y a en une, oui. C´était la fille d´un ami. Mais je ne la connaissais pas. Je savais juste qu´il avait une fille. L´autre, je l´ai rencontrée dans une fête. Elle était seule, elle était toute mince. Elle était seule et elle dansait comme ça... Enfin, c´était incroyable. J´ai senti tout de suite la force qu´elle possédait en elle. Mais je n´ai pas fait d´essais. Je trouve ça horrible, les essais, ou les castings pour enfant. Déjà, les castings en général, je trouve ça horrible. Alors pour les enfants, c´est encore pire. Mais je n´avais pas vu, au début, à quel point elle prenait la lumière avec la peau qu´elle avait : une peau si pâle et si blanche, qui happe comme ça la caméra... Le garçon c'est mon petit frère dans la vie. Il est très courageux et généreux.

On a l´impression que vous avez fait très attention au scénario, dans le sens où vous donnez l´impression d´avoir savamment égrené l´ensemble des détails à la compréhension du vécu de ces trois enfants, comme pour maintenir une tension dramatique tout au long du film ?

Oui, c´est vrai. En fait, il y avait un scénario qui n´avait rien à voir, parce qu´il y avait une mère qui... Même si un scénario se tient en soi, tout seul, il faut aussi aller chercher ce que nous, on a envie de dire. Et après, il faut avoir la liberté de tourner, pour aller aussi chercher son film. C´est qu´en fait, toute la chronologie des scènes écrites est venue comme ça, et j´ai gardé cette chronologie, parce qu´elle aussi, elle était naturelle. Je ne sais pas si l´on voit qu´ils évoluent physiquement pendant un an, en fait.

Pour moi, c´est un film extrêmement dramatique. Ai-je raison ?

Oui. Pour moi, oui. Je ne voulais pas mettre de pathos, absolument pas, et dire que c´est dramatique, surtout pas. C´est comme mettre des rires sur des blagues. Je ne trouve pas ça très drôle. Je trouve ça mieux de laisser libre la personne qui voit le film, libre de penser si c´est drôle ou dramatique. Je sais qu´il y a des gens qui ont trouvé le film naïf parce qu´ils n´ont pas vu ce côté dramatique. Les gens, de toute façon, en général, ou ils adorent, ou ils détestent. En fait, ou ils sont conditionnés par cette façon classique de faire du cinéma, etc. - et donc ils ne peuvent pas... Ou ils aiment beaucoup, parce que c´est la réalité, et ça les touche, et donc... Ce sont les gens sensibles qui aiment mon film. Ca, c´est sûr.

Est-ce que le plus grand drame de votre film est d´avoir montré que ça existait, des enfants comme ça...

Moi, je n´ai pas voulu montrer un drame... J´ai voulu parler d´une situation qui, pour moi, a l´air comme ça... Ou plutôt de parler de ce sentiment qu´on a parfois pour des gens qui ont l´air si joyeux, et qui en fait sont habités de sentiments terribles d´abandon... Il n´y a pas de drame pour les enfants. C´est leur existence. C´est dramatique pour la personne qui voit le film, mais pour eux, ce n´est pas du tout un drame. Il y a des situations beaucoup plus dramatiques, où il y a des enfants qui n´ont pas de maison, qui n´ont même pas de frères et de soeurs, qui sont absolument seuls... Je ne voulais rien dénoncer. Je voulais juste parler du sentiment que l´on peut avoir malgré des airs joyeux, ou d´un émoi qu´ont ces enfants... Ou de la marginalité qu´on les enfants comme ça, à l´école. Les enfants qui sont assis derrière, qui voudraient bien ne pas l´être, qui voudraient avoir des amis... Mais qui sont à part... Même si ce n´est pas le sujet du film, j´aurais pu aussi parler des adultes marginaux, abandonnés du monde... Comme les autistes... C´est vrai que leur éducation, enfin... leur non-éducation, a fabriqué une sorte d´autisme chez les autres...

La symbolique du début du film, comme de la fin, d´ailleurs ?

Je n´en ai pas spécialement. Depuis le début, pour moi, c´était important, parce que dans le scénario, il y avait un enfant qui rêvait tout le temps d´être sous l´eau. Pour moi, c´était lié à l´enfant qui fait pipi au lit d´abord, et à se noyer. A un moment, il se noie presque, et il revient. C´est une façon de se perdre ! Mais quand même, à la fin, il remonte à la surface... C´est laborieux de rester à l´air libre. Parce que ça aurait été facile qu´ils se laissent aller. Alors que pas du tout. Ils se battent contre eux-mêmes, contre le réel, contre leur abandon. Alors que c´est vrai, ça aurait été facile qu´ils se noient.

Le film fait 62 minutes. Mais ce n´était visiblement pas quelque chose d´acquis au début ?

Non, absolument pas. Que ce soit durant l´écriture ou durant la réalisation du film, j´avais cette idée de filmer... Le film s´est trouvé dans ce qui avait été imprimé. Il aurait pu durer plus longtemps, parce que j´ai filmé beaucoup, beaucoup de choses. C´est comme un dessin... Cocteau, par exemple... Je ne dis pas que c´était un grand peintre, mais c´était un grand poète. Et il avait une habileté du trait qui... Quand il faisait un portrait, il suffisait qu´il appuie un peu plus sur le crayon pour dire ainsi autre chose...

C´est intéressant que vous évoquiez Cocteau, car le film m´a fait penser aux « Enfants terribles »...

Ah, oui... J´adore ce livre... Ca me fait hyper plaisir que vous parliez de ça... J´adore vraiment... C´est un peu la même chose parce que, dans le livre, les enfants sont abandonnés par une mère qui est malade...

Le livre vous a donc influencée ?

Non, puisque je l´ai lu après. Mais je suis tombée complètement dingue de ce livre... A chaque fois que je pense à ce livre, il y a un moment que j´adore : quand ils sont dans leur chambre hyper en bordel, et où il y a des trucs crades partout, et le frère qui se met dans sa couverture avec tous ces trucs crades...

Pourquoi deux petites filles et un garçon ?

C´est vrai que j´aurais eu du mal à faire autrement, puisque j´ai une soeur et un frère. Donc je connais cette situation de soeur et frère. Je pense que je n´aurais pas pu... Enfin, trois filles, ça n´aurait pas pu être possible. Deux frères non plus. Car ça aurait été le truc de garçons qui prend le pas...Je ne connaissais pas ça... Moi, je pouvais plus parler d´un truc de filles, donc... Donc c´était plus logique qu´il y ait deux filles. Et j´adore la façon dont ce garçon est avec les deux filles. La façon dont il est leur frère...

C´est un film autobiographique ? Une projection de votre enfance ?

Je ne crois pas que ça soit une projection... Mais... Mais ça part de... Enfin, en tout cas, le rapport qu´ils ont tous les trois, absolument liés, qu´ils s´aiment comme ça, ça vient d´une chose que j´ai vécue. Et après, il y a d´autres choses inventées, mais... Enfin, inventées... Comment dire ? Parfois on veut parler d´un sentiment, ou d´une rencontre, et on l´exagère, pour faire justement passer le sentiment qu´on a...

Propos recueillis par Reynald Dal Barco.